« Le confinement m’a sauvé »,
me confie Evan Chakir-Vergier maintenant en 3ème année de licence de Sciences politiques. Alors que nous sommes en plein confinement à cause de la crise sanitaire, Evan, lui, commence à écrire ce qu’il désigne comme des pages volantes. Sans savoir que cinq ans plus tard ces pages se transformeront en un véritable témoignage recueilli dans un livre : Briser l’Omerta.
Par définition, l’Omerta désigne la loi du silence, le choix de ce titre est donc plutôt évocateur.
Dans ce récit, Evan retrace son harcèlement, qui a duré pendant trois ans, avant d’entrer au lycée et de reprendre un parcours scolaire plus serein. Alors en 2017, lorsqu’il a 12 ans, ce collégien subit quotidiennement des moqueries, des insultes, du cyberharcèlement et une exclusion sociale de plus en plus grandissante. Jusqu’à ce qu’il surnomme « le point culminant » de ce harcèlement : nous sommes en septembre 2019 et les premières heures de la rentrée des classes donnent le ton.
L’année commence à peine, mais les actions de ses bourreaux recommencent immédiatement. Au mois d’octobre, une nouvelle limite est franchie, il reçoit une menace de mort. Il porte donc plainte, contre ses harceleurs. Cet enfer a débuté à cause d’une divergence entre lui et sa petite copine de l’époque, qui s’est étendue petit à petit à toute la classe. Plus de 5 ans après, il pardonne à ses harceleurs, car, comme il me le dit, le but de son livre n’est pas de s’en prendre à eux. Il m’explique que c’est à cause en partie de l’âge, ils étaient jeunes, ils avaient besoin de se construire et pour se faire, ils devaient détruire d’autres personnes. Car comme il s’interroge :

« pourquoi ressasser et avoir cette haine envers eux ?»

Dans les questions que j’avais envoyé à cet avignonnais de naissance, il y figurait : « quel métier voudrais-tu faire ? ». Il me répond qu’avant, il aurait voulu devenir ambassadeur mais aujourd’hui il désirerait faire une thèse sur le harcèlement, pour analyser comment différents pays accompagnent les élèves victimes. Cette perspective de son avenir fait certainement écho à son passé.
Car même si son pardon fait à ses harceleurs peut être étonnant, il y a une institution à laquelle il ne pardonne pas : les adultes présents dans son ancien établissement scolaire. Effectivement, le corps enseignant ne l’aurait pas aidé et aurait manqué à leurs obligations légales. Par ailleurs, dans sa reconstruction, le plus complexe a été de faire à nouveau confiance aux adultes.
Ce qu’il a ressenti face à la passivité du corps enseignant, il le décrit dans son ouvrage. Il y retrace de manière chronologique ce qu’il a vécu, et par ce biais il m’explique qu’il se « refait souffrir » durant l’écriture de passages quelquefois oubliés involontairement.
Ce livre n’est pas un simple récit, il l’accompagne d’apartés qui apportent une réflexion ou des extraits plus pédagogiques afin d’expliquer ce qui peut être incompréhensible pour un parent. Au chapitre 19, il écrit une lettre à son ancien directeur, car comme il me l’a dit, ce n’est pas normal de laisser un enfant comme ça. Lorsque je lui demande trois mots pour décrire Briser l’Omerta, le mot « combat » en fait partie. C’est un livre qui veut porter un combat puisqu’il va saisir en justice son ancienne école pour non-assistance à personne en danger. Les deux autres mots sont "résilience" et "philosophie". Le premier, il le choisit afin d’illustrer sa volonté de surmonter cet obstacle, de se défaire d’un sentiment de culpabilité dans lequel il se reproche de ne rien faire pour les autres victimes mais aussi car cette écriture a eu un effet thérapeutique. Le second, car comme dit plus haut, il y insère des réflexions autour du rôle que les individus peuvent avoir dans une situation de harcèlement. Et tout ce travail lui permet de prendre du recul sur ce qu’il a pu vivre. Suite à ces réflexions, je m’interroge : que pense ce futur doctorant des instances mises en place par les établissements scolaires ?

« Qu’il y a toujours plus à faire. »

Car même si par rapport à la période où il se faisait harceler, les mœurs ont changé, il y a réellement eu une prise de conscience dans la période post-covid. En effet, les cas de harcèlements sont de plus en plus médiatisés mais il se pourrait que sur le terrain il y ait beaucoup de difficultés à résoudre ces problèmes. C’est du moins ce que me rapporte Evan qui, avec son association, rend compte peut-être plus de la réalité. Basée à Villeneuve-lez-Avignon, "help for free world" permet de mettre en place plusieurs actions auprès de structures scolaires, comme des ateliers, l’accueil d’enfants ayant besoin d’écoute, ou encore l’accompagnement des victimes et de la famille, gratuitement.
Pour ces dernières, j’ai demandé à Evan s’il avait un message à faire passer. À toutes les victimes ou témoins de harcèlement, il faut parler ! « Je sais que c’est compliqué », me dit-il, mais il faut trouver la bonne personne, quitte à faire appel à des instances comme le 3018, c’est le premier pas pour essayer de résoudre la situation.
Aux adultes, il conseille de faire attention aux enfants en posant des questions même toutes simples telles que : « comment s’est passée ta journée ? »
Ma dernière question a été ce qu’Evan dirait à son « lui » plus jeune, c’est un message qui finalement peut être universel, il me répond, certainement plus pour lui même que pour ma question, de ne pas avoir peur d’être différent, d’être unique. Que son « lui » encore sous le joug du harcèlement va réapprendre à sourire. La dernière phrase de cette introspection invite à voir au travers de la pluie un arc-en-ciel, il conclut en 9 mots son expérience :

« créer de mon malheur quelque chose de positif ».

Mathilde A.

Source de l'image : Objectif Gard, 16/11/25, https://www.objectifgard.com/actualites/gard-evan-chakir-vergier-briser-lomerta-car-le-harcelement-est-passager-155418.php